La clef de lecture sectorielle est insuffisante dans la question de la localisation des chaînes
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Le débat sur la relocalisation des chaînes met l’accent sur les secteurs pharmaceutiques, stratégiques et agro-alimentaires ; de fait, on devrait évoluer vers un monde où les industries essentielles dépendent moins de chaînes mondiales en raison d’enjeux de santé, de sécurité et de souveraineté qui l’emportent sur l’efficience économique
« Les coûts économiques ne peuvent pas être la première des priorités d’approvisionnement en matière pharmaceutique et stratégique »
Pierre Lory, Administrateur d’un groupe pharmaceutique
De fait, les pays dépendants de la Chine et de l’Inde pour l’approvisionnement en principes actifs, tentent aujourd’hui de reconstituer des industries pharmaceutiques nationales. De même, bien qu’elle exige des investissements en machinerie lourde pour la production de polypropylène, la fabrication de masques est en cours de relocalisation dans plusieurs pays.
Cependant, dans ce débat, si une première clef de lecture est la distinction entre marché de volume et marché de valeur, une seconde est probablement celle des produits au regard de la complexité des chaînes. La perspective de rapprochement n’est pas la même selon les biens.
Ce rapprochement peut vraisemblablement être envisagé sur des biens simples. De fait, une part importante des plans nationaux de relocalisation, bien qu’éligibles à un large spectre d’entreprises, porte sur la relocalisation des chaînes en produits simples et d’urgence.
- En juillet 2020, le gouvernement japonais a annoncé un plan incitant 87 entreprises à déplacer leurs lignes de production : 30 entreprises devraient transférer, de Chine vers l’Asie du Sud-Est, leur production de pièces de disques durs, gants de caoutchouc nitrile et aimants aux terres rares ; mais ce sont surtout 57 entreprises qui sont attendues au Japon pour la production de masques et de désinfectants.
- En septembre 2020, la France a décidé d’un plan de relocalisation qui, bien que tourné vers les secteurs d’avenir, porte largement sur des produits simples ou stratégiques : agroalimentaire (diversification des approvisionnements, nouvelles capacités de production) et santé (principes actifs pour les médicaments) et télécommunications (5G, IoT).
En revanche, le rapprochement des chaînes de production sur des biens très sophistiqués (automobile, aéronautique) où des milliers d’intrants sont sourcés à l’étranger se révèle extrêmement difficile, les États ne pouvant « micro-manager » des chaînes de valeur avec des milliers de composants. C’est une question de profondeur industrielle notamment.
« L’automobile est une industrie très complexe. Le produit est fait de milliers de pièces qui dépendent de terres rares (avec le développement du véhicule électrique) et de composants électroniques (avec la voiture connectée) qui ne peuvent pas être fabriqués dans nos pays en raison des coûts »
Jean-Claude Hanus, ancien Président de Moveo
En outre, ce peut être d’autant plus paradoxal de chercher à relocaliser ces chaînes qu’elles ont été déplacées par les constructeurs pour être au plus proches des bassins de consommation ; les chaînes ont été dispersées au nom des circuits courts.
C’est probablement sur les produits à mi-chemin entre les produits simples et les produits complexes que les chaînes de valeur peuvent évoluer vers un raccourcissement. Ce sont autour des nouveaux usages et technologies que les chaînes de demain peuvent davantage se réorganiser.
D’une manière générale, les entreprises pourraient encore « mixer nearshoring, offshoring et onshoring en fonction des produits, de leurs cycles de vie et des besoins (gros volumes ou petites séries …) mais aussi… des possibilités ».
Tout l’enjeu est de rapprocher les chaînes de biens et de services à forte valeur ajoutée (chaînes intensives en hautes technologies).