La chaîne de valeur n'est plus ce qu'elle était !
Progression dans le chapitre
La chaîne de valeur est généralement appréhendée de manière linéaire au sens où la valeur est générée de façon uniforme sur les diverses fonctions. En réalité, la mondialisation et la révolution numérique ont largement modifié ce format. Les technologies digitales ont aussi impacté la structure de la chaîne en faisant disparaître certains maillons, ce qui a raccourci la distance entre conception/production et consommation. Illustration en quelques graphiques
1. La transformation formelle de la chaîne
Il y a longtemps que la chaîne de valeur de Porter n’est plus linéaire. Avec la possibilité de découpler les différents segments et de les externaliser en différents lieux dans le monde, la chaîne s’est déjà largement incurvée ; elle a, d’ailleurs pris le nom de courbe du sourire (smiling curve) pour illustrer le fait que la valeur n’est plus répartie uniformément tout au long de la chaîne de valeur ; le transfert de la sous-traitance et de l’assemblage dans des pays à faibles coûts a déplacé la valeur des étapes de production vers l’amont et l’aval de la chaîne.
Répartition de la valeur le long des chaînes de valeur mondiales (courbe du sourire)
On ne reviendra pas ici sur cette évolution si ce n’est pour souligner que les technologies numériques aujourd’hui intégrées à la chaîne de production et à la logistique amont et aval du segment manufacturier pourraient aggraver la faible valeur dégagée sur ce segment. La diffusion technologique a, en effet, élargi le fossé entre la valeur qui est générée sur la chaîne par les tâches de fabrication et celle qui est générée par les tâches de R&D, conception et post-production comme on peut le voir sur le schéma ci-dessous.
Impact de la numérisation sur la chaîne de valeur :
l’incurvation se renforce encore
Parallèlement, les technologies digitales ont donné un nouveau format à la chaîne tandis que la « plateformisation » (émergence du schéma de plateformes numériques) a invalidé la chaîne.
- De la chaîne à la boucle : le client au centre
Avec la prise de pouvoir du consommateur (customer empowerment) résumée par l’expression « consomm’acteur » (contraction de consommateur et acteur), la chaîne de valeur linéaire de Porter s’est aussi transformée en boucle autour du client. Cette notion de boucle de valeur a été proposée par Henri Verdier et revisitée (avec le logiciel comme thème principal) en 2015, par Bassem Asseh et Nicolas Colin (avec des représentations visuelles de la chaîne de valeur en fonction du rapport de force entre les anciens et les nouveaux acteurs). Cette évolution a été permise par les réseaux sociaux mais aussi par le fait qu’Internet est une vaste zone de chalandise où les clients peuvent comparer produits et services et arbitrer entre les offres comme jamais ils n’avaient pu le faire auparavant.
Dans cette configuration, le client est au cœur et non plus au bout de la chaîne. L’entreprise doit créer de la valeur en interagissant avec le client sur toutes les phases de la chaîne. On entre ainsi dans la co-création avec le client et d’autres parties prenantes : un industriel peut ainsi bénéficier des commentaires de ses clients sur les produits, ce qui l’aide à les développer, influe sur sa R&D et sa planification.
Cela va même plus loin avec les consommateurs qui établissent leur propre cahier des charges sur des produits à l’instar de la coopérative agro-alimentaire C’est qui le patron?! qui, avec 10 000 sociétaires et consommateurs, renverse l’approche de création du produit, ce dernier étant créé par le client.
- La chaîne devient plateforme de valeur
Avec la révolution numérique, la chaîne de valeur a aussi été chahutée par l’émergence des plateformes en ligne dont le principe est de mettre en relation producteurs et consommateurs, de contourner les acteurs de la distribution et de récupérer les attentes et les données. Quand les entreprises s’organisent en plateforme, les mécanismes de création de valeur en sont complètement transformés, les utilisateurs (multitude) devenant des acteurs de la production.
Les plateformes sont un modèle qui ne répond pas aux mêmes règles de création de valeur : la valeur est générée par d’autres leviers (effets de réseaux, puissance des algorithmes, prime au nouvel entrant et capacité à croître rapidement). Cependant, l’hyperdomination de certaines d’entre elles (GAFAM américaines et BATX chinoises) altère le jeu concurrentiel et entraîne une captation de la valeur. Dans ce contexte, les entreprises déjà établies s’organisent, à leur tour, sous la forme de plateformes.
De la chaîne à la plateforme de valeur
2. La transformation structurelle de la chaîne
La révolution digitale a déjà fait imploser plusieurs segments de la chaîne et cela va plus loin encore aujourd’hui, ce qui fait davantage glisser la valeur vers les segments aval. Cette suppression d’étapes de la chaîne de valeur a notamment été éclairée avec l’impression 3D par Olivier Passet. Le raisonnement peut être poursuivi aujourd’hui.
Facteurs d’implosion des segments de la chaîne de valeur
On voit donc combien la chaîne de valeur implose ou est largement disruptée sur plusieurs maillons. À cela s’ajoutent aujourd’hui les nouveaux process de production (Voir Infra) qui font que la chaîne de valeur est souvent réalisée en une seule unité de temps ou de lieu…